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La
lettre
« Sud Algérois, le 23 juillet 1960.
Mon
cher Papa,
Je suis exténué mais je prends un petit
moment sur mon repos pour t’écrire.
D’abord, pour te dire que j’ai bien reçu
ta dernière lettre où tu t’inquiétais
de la situation dans le secteur. Je peux te rassurer
en te confirmant que tout est calme chez nous. Mais
il est possible que tu ais entendu parler dans les
journaux d’une opération du côté
de Médéa à la quelle nous n’avons
pas participé directement. Pour le moment,
il n’y a rien de particulier que la routine.
Ce qui ne veut pas dire que nous sommes inactifs,
bien au contraire ! En fait, s’il ne se passe
pas grand-chose, c’est que nous sommes très
présents sur le terrain et que cela porte ses
fruits. Voilà pour le côté opérationnel.
Mon
moral est excellent. Je suis toujours enchanté
par les merveilleux paysages dans lesquels nous évoluons.
Et je souhaite qu’un jour venu, dans la paix
retrouvée, nous puissions les découvrir
ensemble. Je suis sûr, que tout comme moi, et
malgré ta longue expérience, mon cher
Papa, tu en seras ébloui.
La
plénitude de nos fréquents couchers
à la belle étoile nous inspire à
tous beaucoup de réflexions sur nos expériences
respectives. Comment, sous un firmament d’une
telle étendue et d’une telle pureté,
ne pas nous sentir revenir à nos modestes places
dans la réalité cosmique. Nous rapprocher
de la vérité en nous éloignant
d’un monde si artificiel. Et puis cette douceur
du climat actuel, les immenses étendues sous
l’éclairage de la Lune, les senteurs
de la végétation, des minéraux…
Tout cela ne peut que nous inciter à la réflexion
et la rêverie…. Qu’il faut ne pas
oublier de surveiller, malgré tout !
Cela
m’aide à approfondir les évènements
des ces dernières années qui nous ont
tous bien ébranlés. Je n’en veux
à personne, tu le sais ! Cela devait se dérouler
de la sorte et rien n’y aurait changé
grand-chose. L’on ne peut qu’en tirer
les enseignements.
J’en
suis arrivé à penser que, finalement
les femmes ne connaissent rien des hommes. De ce qui
les compose, de ce qui les anime profondément.
Elles voient nos dos voutés ou nos larges épaules.
Elles s’effraient de nos lunettes ou de nos
difficultés à nous relever quand l’âge
nous pèse. Elles nous voient nous pencher sur
nos planches à dessin ou fixant l’horizon
un volant entre les mains. Elles nous voient actifs,
soucieux ou désorientés quand une difficulté
nous tourmente, bien souvent à leur sujet.
Nous avons beau être proche d’elles, ou
distants, sincères ou réservés
pour ne pas les inquiéter. Elles ne savent
rien de nous.
Pourtant,
en nous apportant ce qui peut nous manquer, tel le
sens du bonheur et de l’insouciance, elles pourraient
nous redécouvrir. Peut-être pourrions-nous
aussi leur donner en retour ce qu’elles n’ont
guère : la gravité et une certaine persévérance.
Et former des couples vraiment complémentaires.
C’est
vrai que l’intimité avec autrui ne sera
jamais un équilibre parfait.
La
confiance est comme au combat : la clé de tout
! Comment voudrais-tu que j’inspecte sérieusement
une grotte ou une charrette si je sens que le brigadier
qui me seconde avec son PM, est distrait ? Je vais
me sentir obligé de le surveiller, lui aussi,
en plus de ce que je dois inspecter, découvrir,
protéger… De même pour les femmes
qui nous tuent en toute innocence ! C’est ce
dont je m’aperçois en me familiarisant
avec le danger. Tout devient plus transparent quand
tu affrontes quotidiennement nos situations.
Il
y a aussi dans la femme une capacité à
durer, à endurer, à construire qui est
remarquable. Je le vois ici, parmi la population autochtone
où elles doivent affronter une multitude de
difficultés quotidiennes. Ce que nos compagnes
de métropoles n’oseraient imaginer, en
plus d’assumer leur prolifique maternité.
Mais
il leur faut des mots. Des phrases, des verbes qui
travestissent tellement ce que nous avons pu connaître
et endurer. Des choses qui les rassurent mais que
nous savons, nous, les hommes ; tout à fait
dérisoires. Qui nous semble, tellement vains
et superficiels. Et impossible à utiliser honnêtement
en dehors d’un rêve.
Alors,
elles nous trouvent absents et lointains. Elles s’imaginent
que nous sommes enfermés dans les souvenirs
de nos aventures. Que nous ne leur prêtons aucune
attention depuis nos « tours d’ivoire
». Mais elles se trompent.
Ne
faisant que réagir en fonction de leur petit
horizon de jeunes filles choyées. Et très
éloignées de la triste réalité
à laquelle leurs jeux de gamines ne les ont
jamais préparés.
En
réalité, nous sommes beaucoup plus proches
d’elles que leur insouciance et leur légèreté
ne leur laissent supposer. Je crois qu’elles
ont beaucoup de mal à le comprendre. Et c’est
certainement par là qu’il faut rechercher
les motifs de nos échecs conjugaux.
Un
de mes camarades, officier d’une batterie voisine,
est venu me voir, un soir, avec à la main la
lettre de rupture de sa fiancé. Une femme superbe
de bonne éducation et d’un milieu aisé.
Comment ne pas faire le rapprochement avec mon ex
épouse. Mais, soudainement, elle ne voulait
plus entendre parler de la folie meurtrière
de la guerre. L’absence de mon camarade lui
était devenue insupportable. Et elle lui intimait
de quitter l’armée qui n’était
qu’une passion morbide. De laisser tomber l’Algérie
pour leur bonheur à eux seuls.
C’était
une très belle lettre mais complètement
irréaliste.
Comment
voulais-tu, mon pauvre Papa, qu’il réagisse
à ce qui n’était même pas
une lettre de rupture ? L’illustration de ce
que je te disais précédemment. Les femmes
ne nous comprennent pas. S’imaginait-elle qu’il
allait voir de suite notre commandant avec son courrier
pour la rejoindre sur l’heure ?
Pour
mon ami, s’était un rêve qui s’écroulait.
Je l’ai soutenu comme j’ai pu de ma petite
expérience. Pour elle une autre vie commençait.
Lui est mort quelque temps après.
Elle
s’est remariée et vit heureuse. Et j’espère
qu’elle dort paisiblement. Y-a-t-il un amour
détaché du combat ?
Comme
disait un de nos sous-officiers, un soir, au bivouac,
les femmes, c’est tellement mieux dans les souvenirs
! Faut qu’elles soient absentes pour remplir
nos rêves. Cela nous a fait débattre
une bonne partie de la nuit ! Et nous en avons chacun
tiré de multiples enseignements. Comme quoi
d’un désert de cailloux et de sable peut
faire pousser les plus belles idées.
Finalement,
ne faut-il pas supporter ces épreuves comme
un profit que la vie nous apporte.
Quoi
qu’il en soit la femme reste un mystère.
Des silhouettes qui nous accompagnent et nous éblouissent.
Des énigmes, des reflets de la partie invisible
du monde. Un paradis interdit comme Yvonne de Galais
pour Alain Fournier dont nous avions parlé
au sujet du « Grand Meaulnes ». Mais,
aujourd’hui, ma fascination pour les femmes
c’est éteinte. Remplacé par un
sillon invisible qui s’est creusé en
moi. J’ai senti la profonde entaille de leur
présence ou plutôt le mortel sillage
de leur proximité.
C’est
ainsi que dans nos cantonnements, privé des
finesses gastronomiques et soumis à l’austérité
culinaire (quoi que parfaitement suffisante), je rêve
plutôt des étalages de victuailles de
la rue St-Denis que des femmes. La nuit, je vois davantage
des images de bocaux de crème au chocolat,
de tartines de beurre, du jambon parfumé, des
confitures et de vins fins. Que des vendeuses de magasins
ou les passantes attendant un bus !
Nous
avons eut quelques victime ces temps derniers (pas
plus que d’habitude, hélas !). La pire
chose pour moi est de rassembler les affaires de ces
hommes qui sont tombés aux combats et de prévenir
leur famille. J’ai eut l’occasion de le
faire un peu trop souvent à mon gout ce qui
est bien pénible. Ce que l’on peut mettre
à jour dans ces intimités révolues
me font faire des découvertes émouvantes
auxquelles on ne s’attend pas. Je préfère
ne pas en parler car il n’y a que silence qui
soit digne de ces tragédies que l’on
côtoie sans les deviner !
Si
tu peux transmettre mon bonjour à Suzanne et
René. Et leur confirmer que j’aurai plaisir
à passer un moment avec eux et mon Poussin
dans leur villa à Quend.
J’espère
qu’il est bien sage et qu’il ne perturbe
pas trop ma sainte « belle-mère ».
Je le sais entre de bonne main avec elle, comme avec
vous autres. Je vais leur écrire un petit mot
dès que je trouverais un moment.
Je
n’ai pas trop d’échos d’une
éventuelle permission. Il faudra sûrement
attendre que les opérations en cours se finissent.
Et je te tiendrai au courant dès que j’aurai
du nouveau. Mais comme une opération en appelle
toujours une nouvelle…
En
attendant, j’espère que tes affaires
vont continuer à prospérer et vont te
combler de satisfactions.
Embrasse
chaleureusement mes sœurs, Alain et Jacqueline
de ma part.
Affectueusement.
Ton
fils Gérard.
PS
: J’ai fait envoyer il y a 15 jours une caisse
d’objets d’art Algériens qui m’ont
semblés de bonne facture et originaux. Si tu
peux trouver un coin pour les entreposer en attendant
ma prochaine permission, je t’en remercie à
l’avance. »
«
Voilà, Cédric la copie de la dernière
lettre qui nous ayons reçu de lui. J’espère
que tu trouveras la photocopie suffisamment lisible.
La relire me bouleverse encore comme tu le seras.
Affectueusement,
Mamie
Jacqueline.
»
Eric
Legroux alias Moeglen - texte original non corrigé
(si vous souhaitez contacter cet auteur, merci de
me joindre par le formulaire
de contact, je vous mettrai en relations. Corinne
Duval)
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