Espace
Poésie, publiez gratuitement vos textes et
poèmes sur www.alorthographe.com.
[ Retour à la page d'accueil
de l'Espace Poésie ]
L'étrange
don d'Anaïs C.
Extrait du livre de Justine Mérieau
avec son aimable autorisation.
Découvrez ses romans et nouvelles sur www.merieau.fr
NOUVEAU
et gratuit sur Alorthographe.com : découvrez
1350 mots, 3 niveaux de jeu et 27 catégories.
... Le lendemain matin,
Anaïs C. ne s'était jamais réveillée
se sentant aussi bien, d'aussi excellente humeur…
Pourtant, il était à peine sept heures
et une aide-soignante venait de la réveiller
en lui apportant son petit-déjeuner sur l'une
des tables roulantes ; ce qu'en temps ordinaire elle
ne supportait pas, elle qui n'était pas matinale.
Et qui, surtout, n'avait jamais faim à pareille
heure… Mais à côté d'elle,
il y avait la charmante madame de Lestrac qui lui
disait bonjour en la gratifiant d'un chaleureux sourire.
Et surtout, de l'autre côté, un peu plus
loin, son beau médecin ou infirmier, qu'elle
pouvait apercevoir en train de boire, sans doute un
café, assis à la table… Elle se
troubla soudain, réalisant que son nouveau
don allait la rendre indiscrète. Voyant à
travers les murs, elle pourrait surprendre les gens
dans leur plus stricte intimité… Elle
aurait sans doute pu apercevoir cet homme, là-bas,
tout nu, si elle s'était réveillée
encore un peu plus tôt ! Mon Dieu !... Elle
allait devenir voyeuse, bien malgré elle…
Elle, si pudique ! Elle n'avait pas pensé à
cela… C'était le comble de l'horreur
! Au surplus, puisqu'à présent pour
elle les murs n'existaient pas, la lumière
du jour qui la gênait beaucoup le matin, raison
pour laquelle elle faisait en sorte que volets et
rideaux soient toujours bien fermés, allait
sans doute la réveiller brutalement aux aurores…
Et le soleil encore davantage, lorsqu'il y en aurait…
Mon Dieu ! Encore autre chose… Elle non plus,
n'aurait d'intimité… même dans
sa chambre ! Puisqu'à présent, il lui
semblerait être en pleine rue et qu'on pourrait
la voir dans son lit ! Puisque sa chambre donnait
directement côté circulation… Et
puis, ses voisins, le couple d'amoureux ? Voilà
que maintenant, elle les verrait évoluer comme
s'ils se trouvaient dans sa chambre !... Plus aucune
tranquillité, même si elle ne pouvait
les entendre et qu'ils ne pouvaient la voir…
Les apercevoir malgré elle, sans qu'ils ne
le sachent, serait déjà une gêne
suffisante…
Elle aurait sans cesse la pénible impression
d'être vue de tous côtés…
Ayant réalisé tout cela, son humeur
s'assombrit soudainement. Il faudrait absolument qu'elle
trouvât quelques remèdes à tout
ceci… Elle ne savait pas encore comment, mais
il y aurait bien quelques solutions.
Déjà, pour commencer, une fois chez
elle, elle pourrait déplacer son lit dans un
autre coin de sa chambre, sous sa fenêtre, par
exemple, de façon à ne pas voir dans
la rue ; ou encore, là où le soleil
ne pénètrerait pas trop, sauf quand
elle en aurait envie, ce qui pouvait être intéressant
finalement, pour quelqu'un qui aimait les bains de
soleil… Mais, peut-être qu'après
tout, concernant le soleil et la lumière, ceux-ci
ne pénètreraient pas dans les pièces
? Puisque même si les murs lui étaient
inexistants, ils n'en étaient pas moins réellement
là ?... La preuve, pour s'en assurer, elle
avait touché celui qui était derrière
sa tête de lit, et si ses yeux voyaient également
au travers, ses mains, quant à elles, avaient
parfaitement senti la masse dure recouverte de peinture
laquée du mur… Alors, peut-être
les murs n'étaient-ils devenus pour elle que
des sortes de miroirs sans tain, jouant un peu le
même rôle, même si elle ne pouvait
ni les distinguer ni s'y contempler ?... Qui lui permettaient
donc ainsi de voir à travers sans être
vue, tout en ne laissant pas pénétrer
le jour et encore moins le soleil ?... Aujourd'hui
étant un jour sombre, sans soleil du tout,
avec un ciel plutôt gris et bas, elle n'avait
pu s'en rendre compte. Dès qu’elle serait
chez elle, elle verrait bien…
Elle fut tirée de sa rêverie par madame
de Lestrac :
— Alors, dites-moi, ma chère enfant…
vous allez nous quitter dans peu de temps, sans doute
? Comment vous sentez-vous, à présent
?…
Mais je vois que vous paraissez apprécier ce
qu'on vous a servi… C'est très bon signe
! Anaïs prenait en effet son petit-déjeuner
avec beaucoup d'appétit. Un appétit
qui l'étonna elle-même, mais qu'elle
jugea comme étant la conséquence d'un
estomac resté vide depuis la veille, donc maltraité
et criant maintenant famine. Elle répondit
qu'elle se sentait suffisamment bien pour pouvoir
rentrer chez elle ce jour et qu'elle attendait la
visite du docteur qui devait l'y autoriser. Elle partirait
ensuite dès qu'elle serait prête. Dans
la matinée, ainsi qu’elle l’espérait…
Puis elle ajouta :
— Vous savez, madame de Lestrac, j'ai eu beaucoup
de plaisir et de réconfort en trouvant à
mon réveil une personne telle que vous…
Je suis ravie d'avoir fait votre connaissance et j'espère
bien qu'on se reverra. D'autant plus que je suis là,
moi aussi, pour la même raison que vous-même…
Je vous en parlerai, si vous le désirez toujours,
mais en dehors d'ici. Et si vous le voulez bien, madame,
nous pourrions échanger nos adresses…
Dès que je serai complètement rétablie,
je souhaiterais vous inviter à déjeuner.
Je ne cuisine pas trop mal ! Ainsi pourrions-nous
mieux faire connaissance que dans un hôpital…
Mais surtout, madame de Lestrac, maintenant, plus
de bêtises, n'est-ce pas ? J'aimerais beaucoup
que nous devenions amies… Je suis certaine que
nous avons des points communs. Vous semblez bien seule,
je le suis aussi. Nous pourrions nous remonter le
moral ensemble… Promettez-moi !
Personnellement, je n'ai plus envie de recommencer.
Et soyez certaine que je vous appellerai. Au plus
tard dans deux ou trois jours… À moins
que vous ne restiez ici encore quelque temps ?
— Non, non ! Je rentre chez moi demain…
Ah ! Mon petit… Je suis si heureuse que vous
me parliez ainsi ! Car, savez-vous ? Votre arrivée
dans cette chambre, bien que m’attristant, m'a
enchantée immédiatement !
Parce que c’est si vrai que les gens ont parfois,
sans se connaître, des affinités ne sachant
pourquoi avec d'autres ! De ces « affinités
électives » dont parle si bien Goethe…
Quoi que souvent, hélas, ce ne soit pas toujours
réciproque ! D'ailleurs, il m'est arrivé
de temps en temps, soit que quelqu'un fût attiré
par moi, alors que cette personne ne m'intéressait
pas, soit que je fusse attirée par quelqu'un
qui ne me témoignait que froide indifférence…
Ce qui, là, m'affectait profondément
: ne pas être appréciée de la
personne qui vous plaît, se heurter à
son désintérêt aussi total que
sans appel, être rejetée, m'a toujours
été particulièrement intolérable…
À ce propos, cela me fait soudain penser à
Adèle Hugo… Lorsque j'ai appris son histoire
– vous avez peut-être vu le film «
Adèle H » ? — j'ai été
ébranlée, prise d'une énorme
compassion envers cette pauvre jeune fille. Si amoureuse
d'un jeune Anglais qui ne voulait plus d'elle et la
fuyait tant qu'il pouvait, alors qu'elle le pourchassait
partout de sa passion amoureuse…
N'hésitant pas à quitter la France pour
l'Angleterre et à vivre à Halifax, parce
qu'il s'y trouvait… Quelle ténacité…
Quel courage… Quel amour, surtout ! Jusqu'à
la folie ! C'est d'un pathétique si émouvant,
si bouleversant, qu'il donne envie de pleurer quand
on y pense…
— C'est certain !... l'interrompit Anaïs.
Et ce que vous dites me fait aussi penser à
Camille Claudel… Son histoire a également
donné lieu à un film. Vous l’avez
vu ?… Oui ? Vous savez donc que Camille et Adèle
connurent un destin presque similaire et tout aussi
dramatique… Et que Camille Claudel, éprise
de Rodin, tout comme Adèle Hugo avec le jeune
Anglais, fut repoussée par lui. Mais, bien
qu'Adèle fût soutenue et aidée
par son poète de père, ce qui ne fut
pas le cas de Camille, qui se vit délaissée
par sa mère et son écrivain de frère,
toutes deux finirent leur vie de la même façon
: dans la démence… Sans doute le saviez-vous...
Alors, voyez, elles aussi, comme nous, auraient eu
de bonnes raisons de se suicider… Ne trouvez-vous
pas ?
— Oui, certainement ! répondit madame
de Lestrac. Mais la folie n'est-elle pas également
une forme de suicide, où l'inconscient se précipite,
se réfugie, pour échapper à la
torture morale ?... Le monde est souvent si froid,
si peu chaleureux ou carrément hostile parfois,
qu'il est une des raisons de nos souffrances. Feu
mon mari était professeur de philosophie…
C'était l'un de ceux restés entièrement
fidèle à Sartre, dont il était
inconditionnel. Et j'ai toujours été
parfaitement d'accord avec lui pour trouver qu'en
effet, l'enfer, c'est bien souvent les autres…
Sauf que, quand ils le veulent, ça peut être
le paradis. Et le pire n'est-il pas que nous-mêmes,
sans le savoir, sommes peut-être, quelque part,
un enfer pour certains ?... Mais aussi, peut-être
et heureusement, un paradis pour d'autres ?... Vous
concernant, ce fut immédiatement réciproque
; J'ai ressenti tout de suite une sorte d'attirance
pour votre personne. Sans doute parce qu'inconsciemment,
vous représentez à mes yeux la fille
que j'aurais voulu avoir… Je n'ai eu qu'un fils…
Pourtant, je ne vous connais pas, mais il me semble
assez bien vous connaître et je me trompe rarement.
Il paraît que j'ai le don d'empathie…
Enfin, c'est souvent ce qu'on me dit ! Ceci dit, j’avais,
moi aussi, l'intention de vous inviter chez moi…
Comme je quitte l'hôpital demain, j'attendrai
donc votre appel avec plaisir. Je vous en remercie
déjà.
— Comptez-y, chère madame ! s'écria
joyeusement Anaïs, qui ajouta :
Et pour reprendre ce que nous disions, cela me conforte
dans ce que j'ai toujours pensé… S'il
y a absence d'amour, nous sommes perdus. Parce qu'il
n'y a que lui qui rende beau et fort… Privés
d'amour, ou ne sachant en donner, mêmes les
plus grands esprits s’en trouvent amoindris....
Conformément
à la loi "Informatique et Libertés"
N° 78-17 du 6 Janvier 1978 , vous bénéficiez
d'un droit d'accès, de rectification et d'opposition
que vous pouvez exercer par écrit au moyen
du formulaire de contact de ce site.